Salariés, sachez prouver votre harcelement moral en 2016. Par Judith Bouhana, Avocat.

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Au visa de l’article L.1152-1 du Code du travail qui définit le harcèlement moral et de l’article L.1154-1 du Code du travail qui définit les conditions dans lesquelles le juge doit apprécier l’existence d’un harcèlement moral, la Cour suprême casse les arrêts des juges du fond qui se détournent de sa jurisprudence.

Cette appréciation exigeante conduit la Cour de cassation à effectuer le plus souvent, sous couvert d’une appréciation du droit, une analyse exhaustive des faits.

Voici une analyse du vade-mecum de la Cour de cassation édicté à l’usage des juges du fond.

1. Apprécier les faits dans leur ensemble (13 janvier 2016 n°14-10824 et 18 mars 2016 n°14-18621).

1ère espèce 13 janvier 2016 n°14-10824 :

Dans cet arrêt, un salarié ingénieur système est débouté en appel de ses demandes de dommages et intérêts pour harcèlement moral alors que :

  • si des tensions étaient bien réelles au sein de l’entreprise,
  • que des courriels établissaient que le salarié, comme d’autres salariés, avait fait l’objet de remarques et de critiques fréquentes de l’employeur et que des rapports du CHSCT confirmaient une nette augmentation des licenciements.

Les juges du fond ont considéré que le salarié n’établissait pas l’existence d’agissements dont il aurait été personnellement victime.

Relevant d’autres faits non exploités par la Cour, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel aux motifs suivants :
« Qu’en se déterminant ainsi, sans examiner l’ensemble des faits que le salarié invoquait comme permettant de présumer l’existence d’un harcèlement moral, notamment

  • des convocations régulières par ses supérieurs hiérarchiques pour des motifs inexistants ou inexacts
  • et la privation de toute augmentation de salaire et primes, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».

2ème arrêt : 18 mars 2016 n°14-18621 :

Il s’agissait d’une salariée décoratrice d’une société de carrelage s’estimant victime d’un harcèlement moral rejeté par les juges du fond qui considéraient :

  • que le retard de paiement d’indemnités journalières non perçues et reversées directement par l’employeur n’était pas fautif,
  • que le refus de bénéficier du stage demandé par la salariée ne constituait pas plus un fait de harcèlement en période de difficulté financière de l’employeur,
  • dès lors que l’unique agression verbale justifiée par la salariée ne pouvait selon les juges du fond constituer un harcèlement moral.

La Cour de Cassation casse l’arrêt d’appel qui a jugé sans tenir compte de l’ensemble des pièces produites dont les justificatifs médicaux de la salariée :
« Qu’en statuant ainsi, sans analyser les documents médicaux produits par l’intéressée et sans apprécier si les éléments précis et concordants établis par celle-ci, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

2. Conséquemment, prohiber l’appréciation individualisée (20 janvier 2016 n°14-18416).

Pour rejeter le harcèlement moral invoqué par une salariée secrétaire de cabinet d’avocats, les juges d’appel constatent :

  • l’existence d’un incident en 2009 mais qui avait suscité les excuses de l’employeur, et une « mésentente » entre le salarié et l’employeur et un certificat médical évoquant une dépression sévère due selon le médecin traitant à un harcèlement au travail, l’ensemble ne relevant, selon la cour, que d’un incident isolé ne permettant pas de justifier d’un harcèlement moral,
  • le paiement tardif du salaire qui s’expliquerait par « une erreur comptable »,
  • deux échanges de courriel critiques s’expliquant par une « liberté de ton en usage dans le cabinet » à laquelle la salarié elle-même s’associait d’où il ressortait qu’elle « n’avait pu sérieusement être choquée par le compte tenu de ces messages ».
  • un avis d’inaptitude à tout poste avec danger immédiat postérieur qui ne « saurait suffire, en l’absence de tout nouveau fait précis à faire présumer l’existence d’un harcèlement moral ».

Cette appréciation individualisée est censurée par la Cour de cassation qui enjoint aux juges d’appel d’apprécier les faits dans leur ensemble :
« Qu’en statuant ainsi, en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par le salarié, alors qu’il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis et les certificats médicaux laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

3. Apprécier l’existence du harcèlement moral indépendamment de l’intention de son auteur (20 janvier 2016 n°14-23322).

Dans cette espèce, un salarié avait été débouté de ses demandes relatives au harcèlement moral, la cour d’appel estimant qu’il n’établissait pas l’intention malveillante de l’employeur, même s’ils ont relevé un véritable mal être ressenti par le salarié.

La cour d’appel en concluait que les agissements de l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction même exercé de manière autoritaire et mal ressenti par le salarié ne caractérisaient pas un harcèlement moral.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en rappelant aux juges du fond :
« Qu’en statuant ainsi, alors que le harcèlement moral est constitué indépendamment de l’intention de son auteur dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel, la cour d’appel a violé les textes susvisés » (20 janvier 2016 n°14-20322).

4. Juger les actes de harcèlement moral indépendamment de la courte période durant laquelle les faits se sont déroulés (21 janvier 2016 n°14-22203)

Dans cette espèce, un directeur commercial s’estimait victime d’un harcèlement moral du 20 avril 2011 au 09 mai 2011 (il justifiait d’exigences soudainement très précises de l’employeur dont calendriers prévisionnels, rapports de visite de terrain, validation de ses déplacements, présences exigées sur le terrain, accusés réception des courriels, et d’un tout aussi soudain avertissement disciplinaire du 09 mai 2011).

La cour n’y voyait là aucun harcèlement mais :
« un profond désaccord (de l’employeur) avec la demande de rupture amiable de la relation de travail (qu’il interprétait comme) la volonté (du salarié) de ne plus travailler correctement pour la société (l’employeur ayant) entendu dès lors accroître son contrôle, il ne peut être considéré, compte tenu de la courte période durant laquelle ils se sont déroulés, (que ces faits) étaient consécutifs d’un harcèlement moral… ».

La Cour de cassation rejette l’appréciation des juges du fond qui ne pouvait écarter l’existence d’un harcèlement moral au seul motif de la brièveté de la période de harcèlement :
« Qu’en statuant ainsi, par des motifs inopérants tirés de la courte période durant laquelle les faits s’étaient déroulés, alors qu’il lui appartenait d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié qui soutenait que, postérieurement au 9 mai 2011, l’employeur avait poursuivi ses agissements en lui adressant, alors qu’il était en arrêt de travail, de nombreux courriers comportant des accusations et des menaces, puis de rechercher si les éléments matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, … ».

5. Pour finir, quelques faits caractérisant pris dans leur ensemble au 1er trimestre 2016 l’existence d’un harcèlement moral :

  • Un avertissement injustifié et l’existence d’un document écrit de l’employeur mentionnant « récolter tous les éléments pour le virer » (28 janvier 2016 n°14-18076) ;
  • L’employeur qui ne justifierait pas avoir déféré aux préconisations du médecin du travail qu’il invitait à reconsidéré l’affection du salarié (handicapé) au poste en cause pour raisons médicales liées à son handicap (3 février 2016 n°14-26671) ;
  • Les propos dénigrants tenus à l’encontre du salarié couplé avec une «  stratégie de découragement » envisagée à son encontre par la direction pendant ses arrêts maladies et le « retentissement de ces faits sur la santé du salarié » (3 février 2016 n°14-21566) ;
  • Des interventions dans le bureau de la salariée chirurgien-dentiste en présence de patients avec des accusations et des reproches invectives et des violences verbales sanctionnées par la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des chirurgiens-dentistes de l’employeur (10 février 2016 n°14-13791) ;
  • Pris conjointement le non-paiement de la totalité du salaire du salarié, la mise en congé forcée d’un jour du salarié lors de la reprise de son travail à l’issue d’un arrêt maladie, la modification de son contrat de travail et l’altération de son état de santé constatée médicalement (2 mars 2016 n°14-23684).

La Cour de cassation maintient en 2016 un contrôle particulièrement pointilleux et protecteur du salarié harcelé dont nous suivrons l’analyse au fil des décisions qui seront rendues dans les mois prochains.

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